mercredi 20 septembre 2017

La question d'un lieu et de son désordre/fantôme de Benjamin/Sébastien Rongier

D'un monde entre deux mondes.
Plus exactement Port-Bou où mourut/disparut Walter Benjamin.
Lieu traversé, troué, lieu silencieux.
Juste après Cerbère la porte s'ouvre. C'est l'Espagne catalane.
Une première fois en 1989. Avec mon fils aîné.
Nous avons attendu au noeud ferroviaire de Cerbère que l'Espagne nous arrive.


Je suis revenue d'autres fois ensuite dont le périple vers Port Lligat.
Dali bien sûr mais aussi la Retirada. Et Benjamin.
Avec la plongée de Port-Bou vers le bleu.
La mer, bien sûr, mais aussi l'oubli.
Le livre de Sébastien Rongier nous donne à lire cette plongée vers la disparition que fut la venue de Walter Benjamin à Port-Bou.
Il n'y a pas de tombe ici.
On a perdu la trace du corps du philosophe.
Peut-être parce que son nom avait été inversé en Benjamin Walter.
Une manière de disparaître encore davantage?
Namenlosen.

La mort du philosophe est un long sommeil que l'écrivain retardataire (c'est ainsi que se définissait Baudelaire et que Rongier définit W.B.) avait envisagé avec l'aide de la morphine. Le médecin appelé à son chevet n'a pas compris que son patient avait choisi de se donner la mort. Et l'agonie fut longue.

"Les morts de Port-Bou sont allongés au-dessus du sol".

On serait tenté d'ajouter : comme partout ailleurs. Mais à Port-Bou, le cimetière marin est fait d'étrange manière, des tiroirs alignés où est noté le nom du mort. Le tiroir où fut glissé Walter Benjamin s'est retrouvé vide et le fantôme libéré a pu rejoindre les autres morts.

Les lieux frontaliers sont plus que d'autres émouvants, on y ressent le peu que représente une frontière et aussi sa puissance puisque d'elle dépend la liberté ou la mort. A un jour près, Benjamin aurait pu être sauvé.

J'ai gardé longtemps une photo prise à Port-Bou du monument conçu par Karavan pour marquer dans le paysage et la mer l'absence du philosophe. On sombre dans l'absence bleue, notre ombre ricoche sur le ciel et la mer.

"Chaque marche serait une manière de signifier la catastrophe dans laquelle l'histoire a poussé Benjamin", écrit Sébastien Rongier.

Les rues montent et descendent en silence.
Il n'y a plus personne. Tous repartis.
Le feu a brûlé les collines.
Un feu venu de très loin, un feu de catastrophe et d'exil.

Quand on va vers le monument de Karavan, on est seul.
Les marches continuent dans la mer mais une vitre nous retient de ce côté.
Frontière encore. On s'approche le plus possible mais on ne peut pas passer.
"Quand on arrive en bas, on est au bout de rien".
 Le lieu est à la fois désert, lumineux et silencieux.
Pour toujours.


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