mercredi 8 février 2017

Robert Walser, la messe et nos racines

Sans l'autel consacré à la vierge Marie, on ne voit que la mandorle qui orne de sa béance bleutée le mur.

Dans la légende de Saint Gens qu'a illustrée de belle manière l'artiste Martine Lafon, Gens recevant sa mère épuisée et assoiffée touche (comme Moïse) de son bâton le rocher: il en jaillit aussitôt une source d'eau pure. Le trou par lequel l'eau sourd est en forme de mandorle.
Vagin virginal?
Évidemment, si tout le monde le voit, personne n'en parle.

La mère de l'ermite est venu retrouver son fils que les villageois ignorants et surtout païens ont exilé dans la montagne. La mère et le fils réunis, l'histoire peut continuer. Et Gens acquérir sa sainteté. D'autant que dans l'histoire chrétienne, les mères et fils abondent. Exit le père. Pourtant, en face de l'autel marial, il y a celui de ce bon saint Joseph tenant sur son bras l'enfant Jésus.
Joseph, Youssef.
Dans mon village, Aziz a été rebaptisé Claude.
C'est un vieil homme maintenant.
Quand il est arrivé au village, il avait 14 ans.
Quant à Gens,  c'est un saint local qui bénéficie d'un culte et d'un pélérinage local et est associé aux histoires de loup un peu comme Saint François et le loup de Gubbio.

Martine Lafon, lithographie (détail)

Il est exilé de son village parce qu'il se moque de vieilles pratiques païennes pour faire pleuvoir. Ce que feront ensuite à leur tour de nombreux prêtres catholiques pour effacer les anciens cultes, organisant même des processions avec saints à l'appui, trimballés sur les épaules des fidèles. Une manière d'échapper à l'exil dont fut puni Gens mais qui lui a permis de gagner la sainteté.
Décidément je n'aime guère les saints catholiques et celui-là, comme les autres : n'a-t-il pas mis sous le joug le loup sous prétexte qu'il avait tué sa vache et ne pouvait plus lui faire tirer la charrue? On retrouve là tout un imaginaire chrétien : la liberté sauvage est incompatible avec le travail civilisateur. Lupus versus Gens. Bête sauvage contre saint homme. Même dans le wilderness ( terme qu'utilise John Muir dans  ses récits de voyages en Alaska), la mission de l'homme est de domestiquer la terre et les animaux. Mission ou malédiction?
Cette image du loup sous le joug attelé avec la vache rescapée est triste: le saint tourne en dérision la bête et lui prouve sa supériorité.
Comme sainte Marthe trahissant la Tarasque.

Affiche exposition hôtel d'Agar

Dans son sermon ce matin (nous étions à un enterrement), le curé a comparé le prêtre au chien de berger qui doit défendre ses moutons (nous?) des loups prêts à les déchirer. Il n'a pas expliqué aux gens présents qui représentaient les loups. Ensuite il a parlé de nos racines chrétiennes, transformant au passage les moutons en pommes de terre, puis il a évoqué les saints que nous devrions vénérer davantage. Plus tard, il s'est extasié sur la vastitude de notre église de village, soulignant au passage la ferveur dont les villageois d'alors avaient fait preuve comparée à la nôtre aujourd'hui, disant encore qu'une foi qui édifie de pareils lieux est digne de notre admiration, oubliant sans doute temples grecs et incas, mosquées et minarets, sans parler des grottes ornées. Il a lu aussi un extrait de l'évangile où il est dit que nous devons rester vigilants et avoir sur nous un vêtement de service pour être prêts à servir, quelle que soit l'heure où vient le maître.

C'est là que joyeusement, sur un rayon vert qui jouait par un vitrail avec le soleil, s'est avancé Robert Walser. Sur le sujet, il en savait un bout, lui qui fut commis, employé de maison, en un mot qui servit au sens premier du mot mais aussi se mit au service de la littérature.
Et malgré le cercueil et la mort, son ombre a gambadé et folâtré, sautant même par-dessus les têtes des gens, pour rejoindre d'un bond la mandorle de l'autel de la vierge et s'y installer gentiment, comme Pierrot sur la lune, nous regardant en souriant, pauvres humains encore aux prises avec nos problèmes de vivants.

Serait-ce ça, vivre?

Le prêtre a quand même eu une jolie image en se référant aux enluminures médiévales. Un nourrisson sortant de la bouche du mort, voilà comment on représentait l'âme, cette étrange chose. Un peu de gaieté, de beauté aussi, nous a ainsi été donné. Pendant ce temps, dans sa mandorle, Robert (le diable?) clignait des yeux.
À cause du soleil qui à présent rentrait largement dans la vaste nef?

Vivez, semblait-il dire, osez vivre.
Gambadez, courez, même ici, même à côté de la mort.

Ai-je été ce matin la seule à le voir, à l'entendre?
Mandorle bleue,
ciel doré,
sable blanc.
Marseille, ai-je encore pensé,
paradis vivant et enfer mêlés.

Et je suis sorti embrasser les orphelins.
Et retrouver le vent.
Qui soufflait froid et fort.

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