dimanche 3 juillet 2016

Sur la mort d'Y.B et V.M. 2 juillet 2016/14 avril 1930

Temps urticants? demande la petite voix venue du fauteuil invisible.




Je lisais les nouvelles, loin de Bosseigne.
Lettres d'un monde lentement en train de sombrer dans l'oubli.
Plusieurs. Des centaines de gens. Morts.
Et quelques-uns, plus proches. Dont un poète français.
Nous avions aimé ses livres.Les lisions. L'un à l'autre.
Un dimanche, en été.
Mon parent s'activait au jardin, tandis que j'oisivetais à la maison.
Nos vies se poursuivaient, l'une derrière l'autre.
Et parfois, l'une à côté de l'autre.
Souvent nous respirions ensemble.
Avec reconnaissance.

Et puis la reprise de l'eczéma avec la venue de la chaleur m'avait attiré cette remarque d'une amie.
Quand ma mère a quitté son amant, son eczéma a disparu, m'a-t-elle asséné.
Que dois-je comprendre, avais-je demandé. Perguntar, s'était resouvenu la petite voix portugaise.
Pas de réponse.

Et la mort d'un poète n'y changerait rien.
Ou presque. Tous mourraient. Petits et grands.
Ce monde qu'ouvrait l'arrière-pays et l'invention d'un sentiment nouveau, allait-il disparaître avec la mort d'Yves Bonnefoy?
Corinna Bille était morte et je la lisais, la relisais, étonnée de tant de vies. Chacun de ses textes me parlait de l'existence commune. Me surprenait par la vivacité de l'écriture et de l'imaginaire. Je restais avec un mot, parfois, une ligne, une atmosphère qu'elle avait choisis de donner à ses lecteurs.
Le poète laissait aussi une oeuvre considérable, et ses yeux très bleus.
Justement ce matin, tandis que mon parent maintenait le jardin dans sa beauté désordonnée et joyeuse, je lisais J'aime d'un passager-poète-géant. Suicidé.

L'un avait choisi sa mort, vraiment?
En 1930, à 37 ans.
En Russie.
L'autre était mort très âgé.
À 93 ans.
En France.
Notre pays?

Il avait écrit:

Oui, à entendre, oui, à faire mienne
Cette source, le cri de joie, qui bouillonnante
Surgit d'entre les pierres de la vie
Tôt, et si fort, puis faiblit et s'aveugle.

Mais écrire n'est pas avoir, ce n'est pas être, 
Car le tressaillement de la joie n'y est
Qu'une ombre, serait-elle la plus claire,
Dans des mots qui se souviennent

De tant et tant de choses que le temps
A durement labourées de ses griffes,
-Et je ne puis donc faire que te dire
Ce que je suis pas, sauf en désir.

Une façon de prendre, qui serait
De cesser d'être soi dans l'acte de prendre, 
Une façon de dire, qui ferait
Qu'on ne serait plus seul dans le langage.

De quels visages allions-nous nous souvenir: le jeune ou le vieux visage du poète mort aujourd'hui?
Nous pouvions regarder quelques images de lui.
Mais du poète russe nous ne garderions que ce visage de géant et cette taille d'ours.
L'un était de petite taille et l'autre, assez grand.
Morts tous les deux, ils auraient la taille de leurs livres, empilés au chevet des lecteurs.

Inévitablement, la Russie revenait comme la douleur de l'est, celle du coeur.
L'avait écrit un autre, tant aimé aussi, suisse devenu poète français.
Lisant l'un, revisitant le cercueil aux planches courbes redevenu barque des morts, chemin des mots.

Bosseigne revenu, les mains chargées de fruits, je lui lus ces mots:

Moi, qui suis Place de la Passion,
je surprends
le sauvage battement de coeur des capitales.
Déboutonné,
le coeur presque dehors,
je m'ouvrais au soleil et à la flaque d'eau.
(...)
Avec moi
l'anatomie a perdu la tête.
Je suis tout coeur-
Cela bat de partout.
Ô combien furent-ils,
seulement les printemps,
en vingt ans engloutis dans sa fournaise!
Accumulé, leur poids n'est pas supportable.
Pas supportable,
non pour le vers, 
mais à la lettre.

Le poète russe décrit son coeur comme une énorme et lourde pelote que seul l'amour peut alléger, le rendant: comme un indien à des noces bondissant,/tant je me sentais gai,/tant je me sentais léger."

Mais, me fit remarquer mon parent porteur de fruits, le temps choisi est maintenant l'imparfait.
Alors, je lui servis un café. Italien cette fois.
Et très fort.
Pour le présent.
D'un dimanche où nous avions reçu l'annonce de la mort d'un poète.






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